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Livres

 

 

 

- Ventes totales depuis le premier exemplaire : 220 millions d'exemplaires (estimation) (tous albums confondus)

- Ventes annuelles : 3 millions d'albums dont la moitié sur le marché francophone

- 44 % des foyers français possèdent au moins un album de TINTIN (d'après une étude de la SOFRES de 1997 pour l'éditeur CASTERMAN)

- Traduit en 58 langues dont le picard tournaisien, le breton, le corse, l'afrikaans, l'iranien, l'hébreu…..

 

 

TINTIN ET L'ALCOOL
LE LIVRE INTERDIT

Vous ne trouverez pas "Tintin et l'alcool" de Bertrand Boulin en librairie. Sinon, comme moi, sous le comptoir d'un libraire goguenard, trop heureux de pouvoir faire la nique aux censeurs. C'est que ce livre a été saisi à la demande de la société Moulinsart et de la Fondation Hergé.

A le lire, pourtant, on se demande bien ce que les héritiers d'Hergé sont allés faire dans la galère d'un procès et de la surmédiatisation qu'il entraîne inévitablement.
Sans cela, ce livre ne se serait pas vendu. Aujourd'hui, on se l'arrache en salle de vente à des prix démesurés. Sans aucun rapport avec son véritable intérêt. Mal écrit, mal corrigé, mis en page approximativement, édité avec amateurisme, il n'en possède d'ailleurs pas beaucoup pour les amateurs d'Hergé.

Dura lex...

Dès la mention du copyright, on pouvait deviner que la société Moulinsart, qu'on sait impitoyable, ne pouvait laisser passer ça. Alors que l'essentiel du livre est constitué de coupures d'albums d'Hergé, son nom est absent des crédits, limités à "© Editions Chapitre Douze", Bruxelles-Paris, 1985"

Une incroyable erreur de l'éditeur, sur laquelle les avocats ont dû sauter à pieds joints: si, effectivement, la loi sur le droit d'auteur autorise la citation de courts extraits d'une oeuvre à des fins "historique, scientifique ou polémique", elle impose que soit crédité l'auteur d'origine.

De même, il est probable que les avocats n'ont pas eu trop de mal à convaincre le juge qu'un livre constitué pour moitié de dessins d'Hergé ne pouvait être considéré comme publiant de "courtes" citations. D'autant plus qu'il est visible qu'une police large de caractères a été choisie pour augmenter artificiellement la proportion du texte par rapport aux dessins.. afin de faire valoir le droit de citation ?

Oui, juridiquement parlant, il y avait matière à se fâcher. De là à faire saisir le livre et à en faire un des collectors les plus coûteux de la Hergémania, il y a un pas qu'il ne fallait pas franchir.
Car ce livre, mal écrit, est d'un intérêt très limité pour les non-alcooliques.

Alcaul, vou zécrivé sa coman ?

Un exemple de l'écriture de Bertrand Boulin, page 13, dans un court classement des oeuvres accompagné de l'âge d'Hergé (la ponctuation anarchique est de l'auteur):

"1938 Le sceptre d'Ottokar Hergé a 31 ans. Il faut noter que à cette époque qu'il conçoit Tintin au pays de l'or noir, mais que la guerre éclatant, il ne fut pas achevé. C'est d'ailleurs pourquoi on ne saura jamais comment Haddock entre dans histoire."

Les fautes d'orthographe et coquilles sont nombreuses. Visiblement, aucun correcteur professionnel n'a vu les pages de ce livre. Aucun graphiste ni metteur en page non plus, d'ailleurs. Des blocs de texte succèdent à des blocs d'images collées sans la moindre recherche d'équilibre. Les vignettes des albums ont été découpées n'importe comment, souvent en en amputant le bord, et sans les traiter infographiquement pour rectifier les effets du scan: par transparence, elles laissent apparaître le verso de la page dans de nombreux cas. De l'amateursime, donc. A tous les niveaux.

Un exemple de "mise en page" (sic!)

Herg...hic!...gé est un vis..hiv!...visionnaire, burps!
Bertrand Boulin, ancien alcoolique, a vu l'oeuvre d'Hergé avec le prisme déformant de son obsession. Il voit en Hergé un visionnaire qui "connaissait ou pressentait l'ensemble des grandes questions liées à l'alcoolisme" et qui "pose toutes les questions fondamentales du produit alcool, de l'anéantissement des tribus indiennes aux hallucinations ou rêves éveillés qu'il suscite avec une prodigieuse acuité" (je cite).

Au travers de seize chapitres ("L'alcool frustration", "l'alcool manque", "l'alcool dépendance", etc.), l'auteur fait le parallèle entre diverses scènes de "Tintin" et le comportement de l'alcoolique et de son entourage, cherchant derrière la case les non-dits d'Hergé, les "allégories" qu'il croit y trouver. Et qu'Hergé, probablement, n'a jamais eu l'intention d'y placer. Si, sans doute, le créateur de Tintin avait un côté visionnaire, il n'est pas certain que ce soit au niveau des rapports de l'individu à l'alcool qu'il se situe.

Il est indéniable que l'alcool fait partie intégrante de l'oeuvre d'Hergé et cela a déjà été maintes fois mentionné. Le personnage d'Haddock et très clair à ce sujet et Milou, lui aussi, a un penchant certain pour le whisky Loch Lomond. Mais le sujet, qui pourrait faire l'objet d'un bon article de quelques pages, ne valait pas un développement sur 180 pages (constituées, il est vrai, d'une bonne moitié de reprises de vignettes).

Un live bâclé, donc, dont la valeur de collection exorbitante a comme unique origine son interdiction et sa saisie par la justice. Démonstration, une fois de plus, que la censure est bien la pire des attitudes. Un autre mauvais livre en a profité lui aussi: "Tintin en Suisse". C'était il y a plus de vingt ans et le censeur, cette fois, était Hergé lui-même. Il a permis à ce livre médiocre, en le faisant interdire, de devenir un des titres les plus convoités. C'est bien ce qui est en train d'arriver à "Tintin et l'alcool". On le vend 100.000 FB en salle de vente. Au dos, le prix d'origine est encore mentionné: 195 FF. Cent fois moins.

Les dessins de cette page sont ©Moulinsart.
Les deux reproductions de pages sont extraites de "Tintin et l'alcool", par Bertrand Boulin, Editions Chapitre Douze

 

TRACE HERGE
L'ENCYCLO-HERGE GACHEE

Cela aurait pu devenir "la" référence hergéenne ultime, la source à laquelle tout le monde aurait fait appel pour répondre à la moindre réponse relative à l'oeuvre et à la carrière d'Hergé.
Par une incompréhensible accumulation d'incompétences, tant au point de vue de la traduction que du suivi éditorial, ce travail de recherche considérable donne un beau livre, certes, luxueux, certes, mais qui dégage une désastreuse impression d'amateurisme.

 

La forme: le gâchis

Paru à l'origine aux Pays-Bas en langue néerlandaise, "Tracé Hergé" a été "adapté" en français par les Editions Lefrancq.

Il restera, dans les annales de l'édition comme le livre qui a réussi à cumuler la traduction la plus catastrophique et l'adaptation la plus bâclée.

Traduction, tout d'abord. Le texte est truffé de résidus néerlandais: dans la moindre phrase, la version flamande des noms de rues, de villes, de magazines... est systématiquement accolée, sans raison, au nom français (ce qui nous vaut des phrases aussi légères que "Il loua un appartement 103, rue de Livourne Livorno Straat et acheta un espace professionnel tout près de la partie tranquille de l'avenue Louise Louiza laan à Bruxelles/Brussel"); de nombreux titres sont en néerlandais alors que leur équivalent francophone existe - et pour cause, puisque Tintin paraissait à l'origine en français; et le plus grave, c'est que le traducteur ne connaissait rien du vocabulaire de la bande dessinée ni de l'édition. Les traductions erronées ou grotesques foisonnent: "colorieuse" au lieu de "coloriste", "bédé" au lieu de "bande dessinée", "bédé-à-épisodes" au lieu de "feuilleton", "photographe de reproduction" au lieu de "photograveur", "album toutes couleurs" au lieu de "album quadrichromie", etc.


La première apparition de Milou, en 1928 >>>

D'adaptation, il n'y a pas vraiment eu. L'éditeur s'est contenté de prendre le texte néerlandais, de le faire (excécrablement) traduire et imprimer, point. On y trouve des prix en gulden hollandais, des vignettes de Tintin en néerlandais (alors que, bien évidemment, l'équivalent francophone était disponible), des références de publication dans des journaux flamands sans intérêt pour le public francophone. Entendons-nous: il ne s'agit pas de dénigrer les lecteurs néerlandophones, mais de dénoncer l'amateurisme de la version française de ce livre, incompatible avec un ouvrage de luxe payé au prix fort par les lecteurs.

Le fond: étonnant

Le contenu est donc le résultat de quinze années de travail de la part de H. Van Opstal, qui a patiemment noté la moindre petite parcelle d'information qu'il pouvait trouver à propos d'Hergé, de sa vie, de sa carrière, de son travail.

C'est hallucinant! On y apprend -sans le désordre le plus complet - que son père était un jumeau illégitime, que sa mère mourut dans un hôpital psychiatrique le 19 avril 1946, que la première épouse d'Hergé s'appelait Germaine et qu'en 1940 elle engagea une femme de ménage nommée Lieske, que c'est l'imprimerie bruxelloise Cortenbergh qui imprima le premier numéro du journal Tintin, que sa première bande dessinée, "Histoire sans paroles", parut en 1925, que les frais scolaires pour la première école d'Hergé se montaient à 60 FB. Les informations sont minutieuses, précises, et complétées d'un index. Les nombreuses légendes enrichissent encore le texte par des compléments d'informations et des citations. La structure générale, malheureusement, n'est pas très claire; ce qui, ajouté à la traduction désastreuse, rend le livre ardu à lire.

L'absence de rédaction proprement dite ne facilite pas la lecture non plus: de nombreux paragraphes sont constituées d'une succession de notes séparées par des virgules, comme si l'on s'était contenté de recopier les fiches de travail de l'auteur pour en faire un texte suivi.

L'iconographie est vraiment impressionnante. Outre quelques dessins inédits (la première bande dessinée d'Hergé, la première apparition de Milou, des documents de la période très contestée de la guerre, etc.), on y trouve de nombreuses photographies anciennes, montrant Hergé dans son intimité, sa vie familiale, son travail. L'auteur s'est amusé à rechercher des "rimes d'images", entendez des illustrations qui auraient pu influencer Hergé. Quelques-unes sont vraiment étonnantes, mais beaucoup sont sans intérêt.
Lorsqu'on voit la qualité des ces documents, la médiocrité de la traduction n'en est que plus condamnable. Dommage: on tenait peut-être l'équivalent du premier "Quid" consacré à Hergé...

Morceau choisi

Cet extrait illustrera nos propos sur l'indigence de la traduction. Il est intégralement reproduit, sans retouche de notre part.

"Fin 1945, il parla à l'éditeur Pierre Ugueux (qui, en 1941, avait déjà introduit chez le PA un projet d'une revue hebdomadaire de Tintin), cette fois accompagné d'André Sinave et Raymond Leblanc - "un résistant notoire." Mais leur projet pour de nouvelles revues belges pour la jeunesse portant les noms de Tintin et Kuifje il donna pas de chance. "J'ai eu longtemps des ennemis (...) après la guerre." De plus, la Belgique d'après-guerre avait suffisamment de revues pour la jeunesse. Mais le trio était fort confiant, disposait d'une attribution de papier, avait déjà les documents requis en poche, et en mai 1946, obtint un Certificat de civisme pour lui par lequel il fut mis hors de portée des poursuites, échappant à toute condamnation, et fut à nouveau en mesure de publier son travail librement. "Je ne sais pas non plus comment j'ai pu y échapper."

 

TINTIN ET LES HERITIERS
HUGUES DAYEZ EDITIONS FELIN LUC PIRE, 184pp., 129F, janvier 2000

 

 

Première partie :
Le règne d’Alain Baran (1978-1990)

– 1 –
La fête et le deuil

En 1977, après dix-sept ans de vie commune, Georges Remi épouse Fanny Vlamynck. Et il a envie de prendre ses distances avec la bande dessinée. Son dernier album, Tintin et les Picaros, paru l’année précédente, a reçu un accueil très tiède de la critique mais s’est malgré tout vendu à plus d’un million et demi d’exemplaires en langue française. Après ce travail de longue haleine, les Studios ronronnent. Hélas, cette année-là, un membre inestimable de l’équipe va devoir prendre une retraite forcée : le baron Baudouin van den Branden de Reeth, le fidèle et dévoué secrétaire d’Hergé, est victime d’une thrombose. Dans un premier temps, par souci de fidélité envers Baudouin, Hergé engage sa femme Jacqueline pour le remplacer. Celle-ci vient du journal Tintin où elle a été secrétaire de rédaction. Mais passer des éditions du Lombard au bureau d’Hergé, envahi chaque jour par des centaines de lettres de lecteurs, n’est pas une transition facile : Jacqueline van den Branden ne trouve pas ses marques dans sa nouvelle fonction. Hergé est embarrassé mais, toujours guidé par le souci de ne vexer personne, n’en laisse rien paraître.
Le secrétaire providentiel va venir d’une toute autre sphère que celle de la BD. Depuis près de quarante ans, Hergé entretient une amitié profonde avec la journaliste Dominique de Wespin. Adeptes tous deux de recherche spirituelle, membres de la Société Teilhard de Chardin, ils discutent volontiers de philosophie, voire de spiritisme. Veuve assez jeune, Dominique a deux fils, Alain et Pierre-Paul, avec lesquels Hergé sympathise... À tel point que, lorsqu’il se retrouve sans secrétaire, il va proposer à la femme de Pierre-Paul de travailler à ses côtés. Mais celle-ci, tout entière dévouée à son métier d’enseignante, est obligée de décliner l’offre.
Pierre-Paul aiguille alors Hergé vers son frère, Alain Baran. Après une candidature en journalisme à l’Université libre de Bruxelles, celui-ci avait embrassé une carrière de danseur en 1971 dans la troupe de Maurice Béjart, les Ballets du XXe Siècle. Mais il vient de décider d’arrêter la danse. Hergé l’invite à déjeuner dans un des plus somptueux restaurants bruxellois, La Cravache d’Or. Alain Baran reconnaît son inexpérience, mais ne cache pas son enthousiasme à l’idée de travailler aux côtés de ce créateur qu’il admire. Hergé est séduit par la discrétion de ce jeune homme de vingt-six ans qu’il a vu grandir, de loin en loin...
En janvier 1978, Alain Baran entre aux Studios : « Hergé m’a dit : “Tu vas voir, c’est un travail très calme : il faut répondre au courrier, être le relais avec l’éditeur, le journal Tintin... Il y a aussi de l’archivage. Mais ce sera très relax...” En réalité, j’arrive dans un bureau qui est un bijou d’organisation ! Parce que Baudouin van den Branden a tout parfaitement classé et répertorié... Au départ, j’arrive à me débrouiller, mais je fais plein d’erreurs et Hergé, avec sa grande délicatesse, m’aide à me former à son style. Je n’ai pas une trop mauvaise plume, mais elle est loin de ressembler à celle de Baudouin ou d’Hergé ! »
Le jeune homme plein d’allant découvre aussi un studio... en semi-léthargie. Si certains collaborateurs, comme Jacques Martin ou Roger Leloup, ont quitté les locaux du 162, avenue Louise, pour faire cavaliers seuls, le fidèle Bob De Moor est toujours là. À ses côtés, l’assistant Michel Demarets, les coloristes Nicole Thenen et France Ferrari, rejointe plus tard par son mari Roger Ferrari... Tous, ils ont travaillé avec cœur sur les derniers albums du maître, accumulant les recherches de documentation et les essais de coloriage. Seulement voilà : depuis plus de dix ans, la cadence de production d’Hergé s’est considérablement ralentie. Et s’il y a bien, de-ci, de-là, une affiche publicitaire à réaliser, il n’y a pas de quoi occuper les effectifs de manière intensive... Guy Decissy, directeur de l’agence publicitaire du Lombard, témoigne : « J’allais porter des projets aux Studios, j’allais en rechercher, et je voyais l’équipe tourner au ralenti : la pause-thé de 16 heures, ça commençait à 15h30 et ça finissait deux heures plus tard ! Hergé était parfaitement conscient de cette évolution lénifiante, mais, quelque part, cela l’arrangeait : il ne devait pas prendre de décision cruelle; officiellement, tout continuait, la façade était intacte. Il laissait chacun travailler à ses propres albums dans son coin : Martin dessinait Alix, Bob faisait Barelli ou Cori le Moussaillon, et les autres construisaient des maquettes d’avion d’une utilité toute relative... Mais Hergé n’avait vraiment pas le courage de liquider son équipe. Il avait le sens des responsabilités et une véritable estime pour certains de ses collaborateurs. » Alain Baran confirme cette analyse : « Peu de temps après mon arrivée, il m’a confié : “Tu comprends, ce sont des gens qui travaillent avec moi depuis des années, je ne vais pas les mettre en chômage technique... Mais je ne sais pas du tout si des albums vont suivre, je n’ai aucune nouvelle idée pour le moment, mais je dois faire vivre le studio malgré tout...” Dès lors, il accepte de faire des pubs, un peu de merchandising... Ce merchandising alimente en partie les caisses du studio pour payer l’équipe. En partie seulement, parce que ce sont majoritairement les droits d’auteur perçus sur les albums qui constituent la plus grande part des revenus ».

Quelques mois après son arrivée, Alain Baran va devoir gérer son premier gros dossier : le 10 janvier 1979, Tintin aura cinquante ans. Comment fêter ce jubilé ? Avec quels partenaires ? Les interlocuteurs qui s’imposent, ce sont évidemment l’éditeur des albums, Casterman, et l’éditeur du journal, le Lombard.
Vieille maison familiale, les éditions Casterman n’ont jamais été très combatives pour promotionner Tintin, estimant que la célébrité du personnage était un argument de vente suffisant. La première fois que l’éditeur tournaisien consentit à organiser une campagne de promotion, ce fut pour le lancement de l’album Vol 714 pour Sydney en 1968 ! Néanmoins, pour le 50e anniversaire du héros-phare de son catalogue, Casterman est décidé à faire un geste. Baran se souvient des discussions sur le sujet : « Il faut bien se rendre compte qu’à l’aube des années 80, la BD ne connaît pas encore ces gigantesques opérations de marketing qui se pratiquent aujourd’hui ! Donc, ce que Casterman envisage, c’est un cocktail, une petite plaquette commémorative... Quelque chose de convivial, d’intime... Bref, on est très loin de programmer l’événement médiatique que cela va être, en fait ! »
Du côté des éditions du Lombard, rien n’est prévu, si ce n’est de publier un numéro spécial du journal Tintin. Au cours d’une réunion pour mettre au point les préparatifs, Casterman déplore que le Lombard soit le seul partenaire à ne pas participer aux frais du cocktail. Mais personne n’a envie d’entrer en conflit avec Raymond Leblanc. Baran intervient : « Moi, innocemment, je propose d’appeler le directeur du journal Tintin, le fils de Raymond, Guy Leblanc. Tout le monde était ravi de ma proposition. Je ne le connaissais pas, je lui téléphone pour lui proposer d’intervenir dans le budget du cocktail. Sa réponse fut cinglante : “Non, parce que je n’ai rien à voir avec Tintin !” “Mais vous avez le journal !”, répondis-je, interloqué. “Ah oui, me dit Guy Leblanc, le journal porte le nom de Tintin, mais il n’a rien à voir avec Tintin !” Alors je répliquai du tac au tac : “Écoutez, je vais en parler à Hergé. Mais dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi on distribuerait votre numéro spécial au cocktail, si vous me dites que le journal Tintin n’a plus de lien avec Tintin...” Voilà quel fut mon premier contact avec Guy Leblanc ! »
Pendant ces préparatifs, en août 1978, germe dans l’esprit d’Hergé l’idée d’une nouvelle aventure de Tintin. Comme souvent, l’étincelle initiale provient de l’actualité. Il se souvient d’abord de l’« affaire Legros », du nom de ce marchand de tableaux au look excentrique (chapeau de cow-boy, grosses lunettes fumées, manteau de fourrure) qui, avec la complicité du peintre faussaire Réal Lessard, était parvenu à refiler sur le marché de l’art des faux Derain, des faux Van Dongen, des faux Modigliani à des prix astronomiques... Parallèlement à cette première source d’inspiration, Hergé découvre dans un numéro de Paris-Match un reportage sur un pseudo-gourou, le maharadjih Magesh. Ces deux personnages lui donnent l’impulsion nécessaire pour écrire un nouveau synopsis, encore non titré. Il confie à Baran : « Cette fois, je retrouve Tintin comme à ses débuts : il enquête comme un reporter, il part à l’aventure... » L’enthousiasme semble au rendez-vous, alors que dans Les Picaros, Tintin était montré comme lassé d’intervenir dans l’action. « Je le vois travailler, dit Baran, mais il y a les festivités pour le 50e anniversaire, les diverses sollicitations qui interrompent son élan. »
Organisé dans les salons de l’hôtel Hilton à Bruxelles en janvier 1979, le cocktail des cinquante ans de Tintin connaîtra un bel écho médiatique. Il est vrai qu’il bénéficie de la présence de Pierre Tchernia comme maître de cérémonie, et que de nombreux dessinateurs de premier plan sont présents pour offrir chacun à Hergé un dessin-hommage de leur cru. Les invités reçoivent mieux qu’une plaquette : un livre à tirage limité intitulé Cinquante ans de travaux fort gais dans lequel Hergé dévoile, exemple d’une planche inédite des Picaros à l’appui, toutes les étapes de sa méthode de travail.
Cette belle démonstration sera rééditée quelques mois plus tard à destination d’un plus large public dans le catalogue de l’exposition « Le musée imaginaire de Tintin ». Montée au palais des Beaux-Arts de Bruxelles pendant tout l’été avec la complicité de Pierre Sterckx (le professeur d’art graphique qui partage avec Hergé la passion de l’art contemporain), l’exposition présente diverses reliques historiques et ethnologiques qui ont inspiré le père de Tintin, que ce soit pour réaliser la momie de l’Inca Rascar Capac ou le fétiche Arumbaya à l’oreille cassée. L’exposition, superbe réussite, est un succès critique et public et drainera quelque 400 000 visiteurs.

Ces diverses festivités anniversaires ont fatigué Hergé, qui part se reposer en Suisse. Mais, loin de le remettre d’aplomb, ce séjour semble l’amenuiser encore plus. Fanny téléphone à Alain, affolée : « Georges n’a plus d’énergie, plus rien ! » Le couple rentre dare-dare en Belgique, effectue des analyses et découvre la maladie d’Hergé : l’ostémiellofibrose. Derrière ce nom savant, se cache un processus voisin de la leucémie : ses globules blancs ne se renouvellent plus. À partir de ce moment, il va devoir subir des transfusions sanguines, au départ tous les quinze jours, puis une fois par semaine. Ses visites aux Studios vont s’espacer de plus en plus. Il va bien essayer de travailler chez lui, dans sa villa du Dieweg à Uccle, mais il se rend vite compte qu’il ne peut créer que dans son bureau de l’avenue Louise. Il essaie dès lors de venir des demi-journées aux Studios.
Dans ces circonstances, Alain Baran va voir son rôle s’accentuer rapidement. Parce que le 50e anniversaire de Tintin a créé un regain d’intérêt commercial pour le personnage, et que les demandes de merchandising se multiplient. C’est sur le bureau de Baran qu’elles atterrissent : « Hergé n’étant plus là chaque jour aux Studios, c’est moi qui fait une analyse quotidienne de la situation, qui trie le courrier... Tous les matins, soit on se téléphone pour un briefing vers 10 heures, soit je vais chez lui ( j’habite à cinq cents mètres de sa villa). Il continue à garder le contrôle des opérations; la seule évolution, c’est qu’il délègue plus qu’avant pour analyser les projets, qu’il se contente ensuite d’entériner ou non. »
Cette complicité entre Hergé malade et un jeune homme dont on sait si peu de choses génère les rumeurs les plus malveillantes et les plus fantaisistes, qui, avec le recul, font sourire Alain Baran : « On a tout raconté ! Avec mon passé de danseur, on a supputé que j’étais homosexuel, et qu’Hergé était un homosexuel refoulé ! On a dit que ma mère avait tout orchestré avec des pratiques spirites pour m’imposer auprès d’Hergé ! On a même prétendu que j’étais son fils naturel ! » La réalité est sans doute moins tarabiscotée, elle tient dans l’alchimie intellectuelle qui peut se développer entre deux êtres de générations différentes, certes, mais de sensibilité commune : « Indéniablement, il y a un lien qui se développe et qui amène Hergé à dire à ma mère, à sa femme, à moi : “Si j’avais eu un fils, c’est toi que j’aurais eu” Et en ce qui me concerne, j’avoue avoir trouvé chez Hergé le père qui me manquait. Mes parents se sont séparés à ma naissance, et j’avais honte de mon père, qui s’était ruiné lamentablement. Je l’ai perdu à vingt ans. »
Plus la santé d’Hergé se détériore, plus l’intervention de Baran devient décisive : « Quand j’arrive chez Hergé, j’ai déjà sérié les problèmes pour ne pas le fatiguer, j’ai déjà examiné les dossiers. Et une fois sur dix, il me met en garde en disant : “Attention, c’est plutôt vers telle direction qu’il faut aller ”, mais en règle générale, il me dit en riant : “C’est bien, mon fils, c’est comme ça qu’il faut faire...” » De plus en plus, par la force des choses, c’est Baran qui reçoit les visiteurs aux Studios : « Quand j’ai l’interlocuteur en face de moi pour une requête, je lui donne déjà une réponse en précisant que je dois quand même consulter Hergé. Et celui-ci, la plupart du temps, approuve ma réponse en me disant : “Tu as bien fait !” »
Fort de l’assentiment de ce père spirituel, le jeune secrétaire prend de l’assurance. Début 1981, il devient directeur administratif des Studios. Avec la fougue de sa jeunesse, et dans la foulée de ses démarches pour le 50e anniversaire, il veut inciter Casterman à mieux promouvoir Tintin, il critique la politique du « n’importe quoi » qui semble guider le Lombard en matière de droits dérivés, il rêve de voir Tintin redevenir la vedette de son journal. Comment Hergé accueille-t-il cette combativité ? « Je dirais que sa réaction était un peu amusée, en me disant : “Vas-y, essaie, tu verras bien !” Sous-entendu : “Tu as envie de te casser les dents ? Fonce !” Mais en même temps, cela le réjouissait de me voir agiter des critères de qualité, parce que lui-même s’est toujours investi avec toute son énergie pour sauvegarder la qualité d’impression de ses albums. »

Entre Hergé et Alain Baran, l’entente semble parfaite. Entre Fanny et Alain aussi. Parce que Fanny est ravie de voir Alain décharger son Georges des soucis fastidieux en provenance des Studios. Car si Fanny a connu Hergé dans les locaux de l’avenue Louise, elle s’éloignera de ce lieu de travail dès la concrétisation de son idylle avec l’auteur de Tintin. D’abord parce que, même s’ils ne l’expriment pas avec fracas, plusieurs membres des Studios (dont Baudouin van den Branden) réprouvent sa liaison avec le « patron ». Ensuite, parce que l’homme qu’elle aime, c’est Georges Remi plus qu’Hergé. Alain Baran résume bien la situation : « Le gouffre qui existe entre la première et la deuxième femme d’Hergé réside dans la perception qu’elles ont de leur compagnon. Germaine Kieckens, c’était vraiment la femme d’Hergé, qui l’avait connu depuis ses débuts, qui l’avait assisté dans ses doutes de créateur. Fanny, c’était la femme de Georges Remi, pour qui, à la limite, Tintin constituait le rival, celui qui monopolisait l’attention et la santé de Georges ! »
Les deux femmes ont presque connu deux hommes différents. L’homme que Germaine Kieckens épouse en 1932 est un jeune employé influençable, entièrement dévoué à son patron, le directeur du quotidien Le XXe Siècle, l’abbé Norbert Wallez, dont il épouse les idées politiques réactionnaires. Germaine (parfois surnommée « Hergée » sur des cartes de visite du couple) partagera avec son mari une existence casanière, nichée dans un confort petit-bourgeois. Elle subira ses angoisses existentielles, ses passages à vide, ses départs vers des retraites temporaires dans des lieux connus de lui seul. L’homme dont Fanny tombe amoureuse en 1958 est un auteur au faîte du succès, qui a presque fait le tour de son univers de cases de BD et qui aspire à ouvrir les fenêtres vers d’autres centres d’intérêt, vers d’autres joies esthétiques, vers d’autres rencontres... « L’homme était souvent différent du créateur », poursuit Alain Baran. « Georges Remi aimait se retrouver dans un petit comité d’amis où aucun de ses collaborateurs ne se trouvait. Et je crois qu’à partir de là, des frustrations se sont développées, évidemment. J’entends encore Bob De Moor évoquer ses soirées mémorables avec Germaine et Georges dans les années 50 : tout cela est terminé lorsque Georges part vivre avec Fanny; c’est un nouveau monde qui se crée, c’est un nouveau réseau d’amis... »Parmi ces nouveaux amis, il y a ses initiateurs dans le monde de l’art contemporain, Pierre Sterckx, le galeriste Marcel Stahl... Et il y a ceux dont Hergé admire secrètement la manière dont ils ont assumé leur choix de vie : Stéphane Janssen, qui a quitté femme et enfants pour assumer son homosexualité, ou l’écrivain Gabriel Matzneff, qui ose afficher son goût pour les amours adolescentes...1 « Ces gens le séduisent par leur personnalité, ajoute Baran, et par cette liberté de vie qu’ils ont. Lui, par respect de la parole donnée, a éprouvé toutes les peines du monde à quitter Germaine ! Et quand il sent la réprobation de son entourage devant son nouvel amour, il va exclure Fanny et la mettre dans un cocon. Et ce qu’ils vont vivre ensemble, il y aura très peu de témoins pour y participer. Curieusement, ma mère, Dominique de Wespin, qui fait partie de ses anciens amis, continuera à le voir. Sans doute parce qu’Hergé appréciait son côté marginal, et que leur fascination commune pour la Chine les rapprochait ». Fait significatif du côté secret de leur relation : dès qu’il s’agit d’un cocktail ou de mondanités officielles, Georges se montre seul, sans Fanny. Sans doute parce que c’est Hergé qui s’y montre, bien plus que Georges Remi...

Pendant sa maladie, Hergé ne se montre plus guère en public. Si ce n’est pour une occasion, il est vrai exceptionnelle : les retrouvailles avec Tchang Tchong-Yen. Le 18 mars 1981, il va accueillir l’ami chinois de sa jeunesse à l’aéroport de Zaventem. Les caméras de télévision, les photographes de presse sont aussi nombreux que s’il s’agissait d’une rencontre au sommet entre deux hommes d’État. Pour le grand public qui découvrira ces images, il y a l’émotion d’une réunion inespérée entre deux amitiés : celle de deux dessinateurs que la vie a séparé depuis 47 ans, et, plus symboliquement encore, celle des deux héros du Lotus bleu : Tintin et Tchang. Les journaux ne se privent d’ailleurs pas d’illustrer les retrouvailles d’Hergé et de Tchang Tchong-Yen avec une célèbre case extraite de Tintin au Tibet, où Tintin, la larme à l’œil, retrouve Tchang alité dans la grotte du yéti et s’exclame : « Tchang ! Enfin ! »
Mais pour les tintinophiles fidèles, il est une autre émotion, peut-être encore plus poignante : celle de découvrir la silhouette décharnée d’Hergé, signe manifeste d’une grave maladie. Ses fans l’avaient suivi souriant et dynamique lors des festivités anniversaires de Tintin, ils le retrouvent amaigri et fatigué. Comme si, d’un seul coup, le créateur à la silhouette d’éternel jeune homme était devenu un vieux monsieur qui accuse péniblement ses 73 ans...
Seul un cercle très restreint autour d’Hergé connaît l’exacte évolution de son mal. Face aux divers interlocuteurs professionnels de l’auteur de Tintin, Baran reste le plus évasif possible : « Dans l’esprit des gens, je deviens de plus en plus “celui qui fait barrage devant Hergé” Mais je l’assume, parce que pour moi, le rôle d’un secrétaire, c’est aussi, littéralement, être dans le secret et se taire. Il y a des choses que je ne voulais pas et que je ne pouvais pas dévoiler – et notamment à son équipe – sur sa maladie, sur son état d’épuisement fréquent. Il fallait motiver les troupes, plutôt que de les laisser entrevoir la fin. D’ailleurs, à un certain moment, Hergé lui-même n’envisageait pas du tout la fin, il était persuadé, comme certains des spécialistes qu’il avait consultés, que la maladie lui laisserait plusieurs années de répit, et qu’il continuerait à vivre ainsi au ralenti... »
Ces efforts de Baran pour ne rien laisser transparaître partent sans doute d’une noble intention, de tact et de respect, mais ils ont pour néfaste conséquence d’accentuer le fossé psychologique entre le jeune secrétaire et les collaborateurs du studio... Pour des gens qui ont travaillé aux côtés d’Hergé pendant plusieurs décennies, comment accepter qu’un garçon de trente ans à peine, comme surgi de nulle part, s’interpose constamment entre eux et leur patron ?
La situation va se cristalliser dramatiquement pendant les dernières semaines de la vie d’Hergé. Chaque mardi, il essaie encore de passer aux Studios... Un midi, il dit à Alain : « Je n’ai plus la force de reprendre le volant. » Baran le reconduit et déjeune avec lui. Le surlendemain, il reçoit un coup de téléphone de Fanny : « Georges est à bout... Nous filons à l’hôpital. » Le 25 février 1983, Hergé est admis en urgence à la clinique Saint-Luc à Bruxelles, pour une défaillance cardiaque. Fanny couve son mari jalousement : dans son esprit, il n’est pas question que trente-six personnes lui rendent visite... Et c’est, une fois encore, Alain qui filtre les demandes. Bob De Moor est autorisé à venir à Saint-Luc. Baran est dans une situation très délicate : « En mon for intérieur, je sais qu’on est en train d’assister aux derniers jours de Georges, mais je ne peux pas le dire. Aux interlocuteurs qui demandent des rendez-vous, je réponds : “Il est absent” Même à son équipe, je ne peux pas laisser entendre que l’issue est fatale. »
Johan De Moor, qui a rejoint l’équipe des Studios depuis quelques mois, témoigne : « Alain nous disait qu’il ne fallait pas aller à la clinique. Il nous donnait des nouvelles au compte-gouttes : “Ça va, il y a une petite amélioration” Les coloristes, France Ferrari et Nicole Thenen, très attachées à leur patron, étaient inquiètes, mais Baran se voulait rassurant et leur disait : “Aujourd’hui, ça va mieux...” C’était une attitude ridicule ! »
Hergé sombre dans un coma d’où il ne sortira plus. Le 3 mars 1983, vers 22 heures, son cœur cesse de battre. Fanny prévient Alain très tôt le lendemain matin. Celui-ci annonce la triste nouvelle à Bob De Moor : « Je lui demande de prévenir Germaine, mais je lui enjoins aussi de ne prévenir personne d’autre. J’ajoute : “Si c’est trop pénible, ne réponds pas au téléphone, fermez les Studios, on se verra plus tard.” » Baran file à la clinique soutenir Fanny désemparée, et la ramène chez elle dans la voiture d’Hergé, avant de retourner vers les Studios. « Pendant le trajet, j’ai la naïveté de croire : “Heureusement, personne n’est encore au courant, on va pouvoir se retrouver calmement avec toute l’équipe...” Il est midi, je monte aux Studios, j’entr’ouvre la porte de l’ascenseur... Et je découvre un spectacle dantesque : les locaux envahis de journalistes, même dans le bureau d’Hergé ! Pendant une matinée, j’avais été coupé du monde et j’ignorais complètement que, dès 9 heures, la nouvelle était sur toutes les antennes ! Donc, le monde entier était au courant, la presse était là, et moi j’arrivais comme un con aux Studios dans l’espoir de rassembler l’équipe et de se préparer ensemble à annoncer officiellement le décès...
Au lieu de cela, je vois les collaborateurs répondre à des interviews dans les quatre coins du bureau. J’étais tellement abasourdi que ma première réaction fut de mettre tous les journalistes à la porte. Dans la foulée, je me suis fait agresser par certains membres des studios qui m’ont interpellé : “Où étais-tu ? Tu nous as laissé tomber, alors qu’ici, on est débordé !” Mais surtout, pour la première fois, j’entends la phrase : “Tu as bien calculé ton coup !” Et là, je tombe des nues ! »
Hergé est mort depuis quelques heures à peine et, déjà, la belle façade si lisse de ses Studios se lézarde... Mais pouvait-il en être autrement ? Pouvait-on imaginer qu’une équipe constituée de quinquagénaires qui ont vécu des années tour à tour denses ou paisibles sous le regard bienveillant d’Hergé, qui ont tous fait leurs preuves dans leur domaine respectif (qu’il s’agisse de mise en couleur, de repérages photographiques ou d’esquisses de décors), accueille à bras ouverts un jeune homme a priori sans compétence particulière et à qui, pour des raisons mystérieuses puisque toujours restées implicites, Hergé va, les yeux fermés, donner les clefs de la maison ?

Les obsèques d’Hergé vont se dérouler dans ce climat malsain. Certains, comme Jeanne De Moor, l’épouse de Bob, plaide pour des funérailles publiques, où les lecteurs d’Hergé pourraient lui rendre discrètement hommage. Pour Fanny, il n’en est pas question : pour elle, c’est Georges Remi qui est mort, et cette personne privée a droit à des funérailles privées. Et même très privées, car Fanny n’entend y voir que quelques amis proches. Les membres des Studios sont conviés, mais pas leur conjoint. Alain Baran et son frère, mais pas leurs épouses... Le frère d’Hergé, le major Paul Remi, et son fils Georges assistent également à la cérémonie. Georges Remi junior s’en souvient très précisément : « Mon père et moi sommes allés aux obsèques – des obsèques « provisoires » dans un caveau du cimetière du Verrewinkel, parce qu’il fallait attendre une autorisation spéciale pour enterrer Hergé au petit cimetière du Dieweg. Et j’ai clairement senti que nous étions indésirables ! (Parce que, à la fin des années 70, j’avais eu un différend avec mon oncle, et après sa maladie, les ponts ont été coupés entre lui et moi). En réalité, Baran avait créé un terrible barrage devant Hergé, c’était manifeste. Et ce qui m’a frappé le jour de l’enterrement, c’est que personne n’a pensé à aller saluer Germaine, personne ne s’est préoccupé le moins du monde de la façon dont elle pouvait endurer cette journée. Je suis le seul qui suis allé la voir... Baran, lui, était avec deux journalistes, alors qu’il avait prétendument insisté pour que la presse ne soit pas présente à l’enterrement ! Mais il n’avait pas l’air du tout incommodé par leur présence ! ». Car derrière le profil du « fils spirituel d’Hergé », Georges Remi ne voit qu’un opportuniste et un intrigant : « Dès son arrivée aux Studios, Baran a tout fait pour plaire à mon oncle ! Et il a fait le vide autour de lui, pour avoir les coudées franches... Après la mort d’Hergé, quand les manifestations et les expositions d’hommage se sont multipliées, ni ma sœur ni moi n’avons plus jamais reçu la moindre invitation ! »
Grâce à une dérogation obtenue par des contacts avec le Palais Royal, la dépouille d’Hergé pourra être placée dans un espace qui n’accueillait plus de nouvelle sépulture : le petit cimetière du Dieweg. Sur la tombe, Fanny fait inscrire, à côté du nom de Georges, le sien propre accompagné de sa date de naissance... Tout un symbole.

 

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